Date: Sun, 3 May 2009
Il n’y a plus de doute que la plupart des partis politiques de l’opposition tunisienne s’engagent dans le processus « électoral », ou plutôt à la nouvelle imposture de 2009, organisée par la dictature de Ben Ali. Les partis légaux de l’opposition, aussi bien que certains partis de l’opposition non reconnue et illégale, sont pour la participation. le Parti du travail patriotique et démocratique (PTPD) et le Parti socialiste de gauche (PSG), deux partis se déclarant marxistes, font alliance avec Attajdid et se mettent derrière son candidat à l’ « élection » présidentielle, Mr Ahmed Ibrahim.
Le PDP était d’emblée pour concrétiser la « culture de la participation » et Attajdid n’a à aucun moment envisagé une autre voie. En fait, ces partis ont décidé de participer à ces « élections » quelle que soit la situation politique dans le pays, qu’il y ait vraiment des élections libres ou pas, démocratiques ou pas. Si le candidat du PDP à la « présidentielle » s’est précipité avant tous les autres pour défendre ses chances à la candidature et si Attajdid à exprimé le désir de rassembler tous les démocrates et progressistes , ils ne font en définitive que prêcher pour leur chapelle.
La logique électoraliste de ces partis n’est nullement basée sur la réalité sociale et politique de la Tunisie, ni sur le développement des dernières luttes. Chacun de ces partis pense que ces « élections » doivent être une opportunité de bénéfices secondaires, pour son propre parti, au détriment de tout souci d’unité de l’opposition face au pouvoir.
Et pourtant, rien dans la situation actuelle du pays, ne justifie l’engouement politique de l’opposition pour ces « élections », surtout de la part de partis qui se disent démocratiques et engagés dans la lutte contre la dictature et à plus forte raison marxistes et révolutionnaires.
Le paysage politique et social du pays est plus que jamais sombre
Mais ce n’est pas l’avis de Mr Hatem Chaabouni (Attajdid), qui n’a pas manqué de courage ( !) en déclarant que le contexte social et politique de la Tunisie n’est pas aussi sombre que veulent le croire les « extrémistes » [1].
Le souvenir du sang des cinq martyrs est encore douloureux au bassin minier, où la répression policière s’est soldée aussi par plusieurs dizaines d’incarcérations et de lourdes peines contre les leaders et les militants du mouvement social. La police s’est vengée d’une population qui n’a fait que manifester pacifiquement. Il faut voir de quelle manière les policiers et les agents de la Dakhilia (ministère de l’intérieur) se sont vengés de la population, leur sauvagerie restera pour longtemps dans la mémoire de la région martyrisée.
Des centaines d’islamistes accusés de terrorisme ont subi et subissent des traitements inhumains et des procès injustes depuis les affrontements de Slimene. Les familles mafieuses autours du « président » Ben Ali, mafieuses au sens propre du mot, s’accaparent tous les profits et continuent à spolier notre peuple à leur guise. Notre jeunesse sombre dans le désespoir et fait de la méditerranée sa nouvelle tombe. Les libertés de la presse, et plus simplement les libertés d’expression, de protestation et de manifestation sont systématiquement bafouées.
Harcèlement, filature, injures, menaces et toutes sortes d’agressions sont le pain quotidien des opposants, aussi bien les radicaux que les modérés. Les responsables de partis, d’associations, de la LTDH et de la presse libre sont surveillés de très près dans leurs mouvements et sont interdits de se réunir même dans les cafés.
Le dernier exemple en date est celui des membres du bureau exécutif de l’UGET, empêchés de rejoindre le local de leur organisation et même de se poser dans un café, ils étaient contraints d’échanger leurs points de vue en marchant dans les rues, suivis d’une meute de flics.
Il n’y a pas de doute que le principal « interlocuteur » de la société civile et les principaux acteurs de la scène politique restent les agents de la Dhakhilia. Cette réalité n’échappe à aucun citoyen ni à aucun opposant, même le plus « sage ».
C’est dans ces conditions politiques, et que dire de la situation sociale, que se déroulent les préparatifs aux « élections » législative et présidentielle de 2009.
Les dés sont jetés !
Presque tout le monde reconnaît qu’il n’y a aucun enjeu électoral proprement dit. Et pourtant, au dessous des cartes, des enjeux il y en a.
Pour les « élections » de 2009 tout est connu d’avance : Ben Ali « réélu » à une majorité écrasante (parions qu’il fera mieux que Bouteflika), l’enceinte de Bardo (siège du « parlement ») est partagée en deux morceaux, un de 75% pour le parti au pouvoir et un autre de 25% pour les partis de l’« opposition », tous confondus, quel que soit leur score! La seule inconnue est de savoir lequel des partis « opposants » aura « la part du lion » des ces 25%. Cette inconnue est bien connue, puisque tout le monde sait que l’habitude du locataire du Palais de Carthage consiste à octroyer la « meilleure » part à celui qui lui courbe mieux l’échine.
Les participants à ces « élections » savent que de toute façon ils n’ont rien à gagner en s’attaquant au pouvoir. Par contre ils doivent se déplumer entre eux pour les 25%.
Bien sûr certains scandent une participation « militante » et adoptent une phraséologie de gauche sur la démocratie, dans certaines réunions et certains lieux et en fonction du public, mais dans la réalité c’est avant tout pour mieux prendre le virage à droite. Ainsi, dans l’alliance d’Attajdid (l’Initiative patriotique) certains aiment accuser leurs adversaires d’extrémisme (l’extrémisme de toutes les couleurs dissent-ils), aussi bien parmi ceux qui participent aux « élections » que ceux qui prônent le boycott.
L’argument d’extrémisme plaît beaucoup au pouvoir. Toute sa politique répressive est justifiée par la lutte contre l’extrémisme. Ainsi les membres de l’alliance, dont certains se réclament marxistes et révolutionnaires (!), adoptent, en partie, le discours du pouvoir dictatorial. Ils offrent l’aisance politique au pouvoir pour justifier sa lutte contre les organisations, « extrémistes », qui ont signé, entre autre, au sein du Comité du 18 Octobre, des plateformes démocratiques contre la dictature de Ben Ali.
Mais il se peut, qu’à l’heure actuelle, les plus « extrémistes » soient les partis qui font défaut à ces « élections », le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) et le Congrès Pour la république (CPR).
Le CPR a adopté une position de principe contre le pouvoir et ses manigances électoralistes.
Le PCOT avait adopté une ligne de tractation, avec le reste de l’opposition, plus souple et théoriquement plus ouverte à différentes éventualités. Il avait opposé aux adeptes de la participation militante trois conditions synonyme de militantisme et de clarté politique : premièrement que toute l’opposition soit unie, évitant tout déchirement entre ses composantes, deuxièmement qu’une opposition digne de ce nom doit refuser les 25% de Ben Ali et troisièmement que la participation doit être conditionnée par des moyens effectifs de participation et non seulement par des souhaits. Le souci du PCOT était de créer et de préserver l’unité de l’opposition face à la dictature et de ne pas se plier à ses conditions. Dès lors que cette unité n’est plus possible, il fallait limiter la casse au sein de l’opposition. Mr Hamma Hammami, le porte parole du PCOT, souligne le fait que toutes les organisations, aussi bien celles qui participeront aux « élections » que celles qui adopteront le boycott actif, seront bâillonnées, harcelées et tabassées. Il pense que la réalité de l’oppression finira par dissiper les illusions de certains et que l’unité sera de nouveau à l’ordre du jour de l’opposition.
Mais Mr Ahmed Ibrahim, et pas seulement lui, préfère le discours de la surenchère [2]. En visant principalement la position du PCOT, il déclare que ceux qui appellent au boycott sont ceux qui préfèrent rester dans leur coin, isolés de la société.
Le PCOT est un parti interdit. Ses militants sont persécutés et harcelés quotidiennement par la police. De nombreux procès ont été et sont toujours organisés contre ses activistes et ses sympathisants. Ses militants dans la région de Gafsa paient de leur liberté leur engagement au sein du mouvement qui a secoué le bassin minier. Ses étudiants sont une des cibles préférés de la police politique. Dire qu’un tel parti, et d’ailleurs nombre de sensibilités de gauche en dehors de ses rangs, appellent au boycott par désir de rester dans leur coin, c’est tout simplement gommer la réalité de la répression qui asphyxie la vie politique et étouffe l’activité de toutes les organisations.
Et par ailleurs, dans une élection démocratique, le PCOT, le CPR ou toute autre force politique n’a-t-elle pas le droit d’appeler au boycott et de s’activer pour le défendre, en toute liberté et sans entraves policières?!
Cependant, il se peut que nous ayons mal compris les propos du candidat de « l’Initiative patriotique ». Il est probable qu’il a voulu nous parler d’une autre vérité, qui nous paraisse mieux refléter la réalité politique de notre pays : « si Attajdid décide le boycott les élections, la police nous laissera dans notre coin, au mieux elle nous permettra d’accéder à nos bureaux » aurait du dire Mr Ahmed Ibrahim !
Nous aimons rappeler que ceux qui accusent le PCOT de démission, parce qu’il décline une fausse participation dans de fausses élections, l’on déjà accusé, en toute résonance avec le discours du pouvoir, de « récupération politique » pour avoir apporté son soutien au mouvement du bassin minier.
L’exemple le plus frappant d’isolement, alors que la lutte du bassin minier avait tant besoin du soutien des démocrates, ne vient pas de ceux qui appellent aujourd’hui au boycott mais plutôt de ceux qui défendent la participation sans conditions. Et pourtant il n’y avait rien de plus important, pour concrétiser la démocratie, que d’élargir et étendre une lutte sociale sans commune mesure avec les autres luttes depuis l’installation de Ben Ali au pouvoir. Par contre Mr Chaabouni adhère au « militantisme rationnel et réaliste » [3] et non à la « confrontation imaginaire » qui ne fera que crisper le pouvoir !
Pour beaucoup de démocrates, qui miroitent aujourd’hui le militantisme et le changement à l’occasion d’une piètre « élection », nous disons que la démocratie en Tunisie a déjà raté le rendez-vous de l’avant et de l’après 6 juin 2008 du bassin minier.
Le mariage entre illusions et faux patriotisme
Dans ses derniers discours, le candidat de l’ « Initiative patriotique », nous livre des perles dignes d’un vrai démocrate. Il a déclaré qu’un processus électoral démocratique est dans l’intérêt de tout le monde, y compris celui du pouvoir [4]. Il suffit donc de convaincre Ben Ali de la justesse de son analyse! pis encore il a affirmé que la Tunisie est à la croisée des chemins grâce aux « élections » de 2009 et qu’elle a une vraie occasion pour conquérir la démocratie. Une telle déclaration, dans le contexte politique actuel, n’est pas seulement de l’ordre d’une mauvaise lecture ou d’un faux jugement, mais aussi de l’ordre de la surenchère théâtrale.
Mr Chaabouni, dans le même article, a répété la même chose : des élections démocratiques sont dans l’intérêt de tout le monde, pouvoir et opposition. C’est le sens que donne « l’initiative patriotique » au patriotisme. Attajdid parait donc partager le même « patriotisme » que celui du pouvoir, celui de renforcer « les acquis » d’un état moderne !
Faut-il conclure que le programme de l’opposition de décor est celui de soutenir Ben Ali, alors que celui de l’opposition militante est d’être « patriotique ». C’est à dire « défendre, soutenir et reformer les acquis de l’état moderne », l’état de Ben Ali. Car la seule vraie différence entre l’aire Bourguibienne et celle de Ben Ali c’est l’amplification du pourrissement. Il n’existe aucune autre différence de fond.
Pour le PDP, certains faits nous font prévoir que ce parti, parmi tous les participants, aura le plus du mal à participer à ces « élections ». Du point de vue du pouvoir, le PDP dépasse ce qui lui est tracé comme lignes rouges. Ce n’est pas un hasard que son candidat à l’« élection » présidentielle, Mr Ahmed Najib ECHABI, s’est retrouvé d’emblée sur la touche avant même le coup de sifflet du départ. Certaines voix au sein du PDP se sont déjà levées pour réclamer à leur parti plus de réalisme et mois de radicalité face à la dictature. Elles pensent que la voie adoptée par leur leader ne sera pas payante. Il serait mieux de courber l’échine!
Le PDP défend, lui aussi, une participation militante, réduisant tout boycott à une attitude politique passive. Beaucoup de sincères militants croient en cette thèse. Cependant le problème réside dans le fait que la participation, dans le contexte politique actuel, ne permet pas d’offrir plus d’espace d’expression ou de manifestation que celui offert par le boycott. Sachant que nous parlons d’actions militantes.
Le « choix » participatif de certains militants est plutôt le reflet d’un certain abattement politique. Perdant foi dans l’efficacité de l’action clandestine et semi légale, ils objectent que dans la réalité actuelle de la Tunisie, où tout est muselé, cadenassé et criminalisé, il n’y a pas de choix que de remplir le petit couloir toléré par la dictature, que ce couloir peut s’élargir par l’action militante.
D’autres militants, tentés par la participation, sont limités dans leurs perspectives politiques par le sentiment qu’un changement politique radical est irréaliste pour le moment, même si théoriquement ils reconnaissent qu’aucune dictature n’est éternelle, même s’il s’agit d’une dictature arabe. Ils voient toujours mal comment les tunisiens pourront-ils se soulever contre le despotisme et abattre ses institutions. Le grand soir c’est une chimère !
Et pourtant ces analyses pessimistes relèvent de l’incapacité politique à digérer le dernier événement qui a secoué notre pays et qui continue à le mettre sous tension. Ces analyses restent sourdes, totalement sourdes, aux leçons politiques offertes par la lutte sociale du bassin minier, et elles restent aveugles à la voie que ces leçons tracent à notre peuple pour se débarrasser définitivement de la dictature.
Le poids de 22 ans de pouvoir de Ben Ali pèse lourd sur le moral de certains militants et leur choix participatif.
Quand au peuple tunisien, il ne participera pas à ces « élections » et il n’ira pas voter, même si, par miracle, Ben Ali lui offre ce droit. Il ne croit pas un instant à la supercherie électorale après tout ce qu’il a expérimenté de ce régime. Regardant le traitement qui a été réservé à la population du bassin minier ces derniers mois, il garde la haine contre ce pouvoir, persuadé que des élections démocratiques ne peuvent voir le jour sous le ciel de la dictature.
Cependant, la polémique entre militants autours des « élections » de 2009, nous ramène à nous poser deux cardinales questions.
Luttes sociales ou manège électoral ?
La première question se rapporte au poids respectif des luttes sociales et des luttes électorales dans le processus qui amènera l’affaiblissement du régime despotique et son effondrement.
Nous savons qu’une vraie action militante est celle qui s’engage dans une lutte quotidienne contre la dictature, en investissant tous les champs de l’action politique, syndicale, associative, humanitaire, journalistique, etc. Deuxièmement, un vrai militantisme ne se limite pas à l’action légale et tolérée par la police, il n’accepte non plus les limites fixées par un pouvoir lui-même illégitime. Militer et ne pas rester dans son coin, isolé de la société, c’est organiser les luttes de notre peuple, organiser les manifestations, les rassemblements, les comités de résistance et de soutien, organiser les grèves et les occupations dans les usines etc.
Malheureusement, certains démocrates, et parmi eux ceux qui enchérissent par la « participation militante », ne peuvent adhérer qu’à l’action politique légale, tolérée et contenu par la police d’un pouvoir illégitime. Pour de tels démocrates il est de leur logique de penser que boycotter les « élections » de 2009 signifie rester dans son petit coin et opter pour la position spectatrice. En effet, pour ceux qui ne peuvent s’éloigner des lois et des institutions de la dictature, boycotter les « élections » signifie se cantonner à la passivité, mais ce n’est pas le cas de tous les démocrates, ni des révolutionnaires. Pour ces derniers, sans qu’ils délaissent le moindre champ d’action, leur tache principale consiste à développer les luttes sociales de la classe ouvrière tunisienne. Car la faiblesse de la résistance du peuple tunisien au despotisme réside dans la faiblesse de ses luttes sociales et dans l’incapacité de l’opposition tunisienne, pour diverses raisons, d’assumer ses responsabilités vis-à-vis de ces luttes.
Un démocrate digne de ce nom est celui qui investi, initie, accompagne et développe les luttes de tous les jours, des travailleurs, des gens ordinaires et des moins que rien. Multiplier les luttes, grandes et petites, signifiantes et apparemment insignifiantes, ici et là, équivaut à une guérilla sociale. Cette guérilla finira par développer un mouvement social global, comme il finira par épuiser les forces du pouvoir. Au moment venu, la mâchoire de notre peuple aura la force nécessaire pour déchiqueter sa chaire et briser ses os !
Mais la classe ouvrière ne peut se contenter d’une mâchoire bien développée. Pour acquérir un vrai changement démocratique, elle a vitalement besoin d’une conscience politique autonome. Cette conscience autonome n’est possible que grâce à une idéologie socialiste de la démocratie. Une démocratie qu’elle doit acquérir par sa propre lutte et qu’elle doit offrir au peuple entier.
De ce point de vue la classe ouvrière tunisienne est actuellement dans un état politique lamentable. Elle est loin, très loin d’une conscience socialiste. Il est frappant de constater, que même le mouvement du bassin minier était avant tout le mouvement des chômeurs, des démunis plutôt que celui de tous les travailleurs. Et il ne nous a pas échappé que les travailleurs de Gafsa n’ont pas apporté le soutien nécessaire à Errdaif, la ville qui a constitué le noyau dur de la résistance. Toute la classe ouvrière tunisienne est restée paralysée, incapable d’apporter le moindre soutien significatif. Et ce n’est pas les tardives manifestations et comités de soutien au sein de l’UGTT, à moitié rongées par la termite de la bureaucratie, qui auront pu changer la donne. Ceci, il faut le reconnaître et le dire pour le changer.
Le PCOT est la première organisation marxiste. Et bien qu’il ait eu le mérite d’aviver les luttes sociales et démocratiques, chose pour laquelle il a été souvent taxé de « récupération » et « d’instrumentalisation », il a la lourde responsabilité de l’état actuel des choses au sein de la classe ouvrière, ainsi que du déroulement politique de son avenir proche.
La politique comme art du possible
La deuxième question que soulève la discussion autour des « élections » de 2009, est celle des voies du changement et de son contenu. Schématiquement, deux visions s’affrontent.
Celle qui prétend qu’un changement démocratique est possible sans une chute violente de la dictature et de ses institutions. Ses adaptes militent pour des reformes démocratiques, dans l’intérêt de tous disent-ils, ils sont pour le dialogue avec le pouvoir, ils n’attisent pas les luttes sociales, ils sont pour les contenir, ils ne prêchent pas la radicalité, ils maintiennent des passerelles permanentes avec le pouvoir, ils lui conseillent un traitement non sécuritaire de la société et de l’opposition, ils préconisent un militantisme qui évite toute violence, mais ils ne préconisent pas la liquidation des institutions de la violence (les forces de police, le parti au pouvoir, la Dakhilia, l’armée de la dictature), ils n’envisagent pas de juger ce régime, etc. En gros ils maintiennent l’illusion de reformer le despotisme et ses institutions.
L’autre vision ne croit pas qu’un changement démocratique est possible sous la dictature. La démocratie ne peut se bâtir que sur les ruines de l’ancien régime. L’abattement de la dictature est le but final de toute action politique. Une nouvelle assemblée constituante doit voir le jour. Elle dictera une nouvelle constitution démocratique garantissant toutes les libertés. La chute de la dictature ne peut être que le fruit d’un mouvement populaire fort. La force qu’il sera obligé d’utiliser pour liquider les édifices de l’oppression est juste et nécessaire. Les luttes sociales, au cours des périodes « pacifiques » sont soumises à la rude épreuve de rapports de forces directs avec la dictature. Les militants sincères n’ont pas à dialoguer avec le pouvoir, ils n’ont pas de passerelles à établir avec lui. Leur fil conducteur est l’isolement du pouvoir dictatorial de toute la société civile. Le dialogue « national » n’est envisageable qu’entre forces démocratiques.
Ces deux visions du changement conditionnent les positions aux « élections » actuelles, mais aussi à tous les champs de l’action militante.
Certains, se prenant pour des experts, disent que « la politique est l’art du possible ». Reste à savoir de quelle politique et de quel art on parle. Nous préférons la politique qui discrédite les projets de Ben Ali à celle qui les conforte, nous préférons l’art qui combat la dictature à l’art du compromis.
Il est évident que des élections démocratiques ne peuvent voir le jour dans l’actuelle Tunisie, où les morts possèdent des cartes d’électeur mais pas les vivants. Théoriquement, ceci n’exclut pas la possibilité d’imposer, même sous un régime despotique, des élections libres, mais seulement dans les moments de poussée révolutionnaire. C’est quand la classe ouvrière, par ses travailleurs et ses chômeurs, investie le champ de l’action politique subversive et où le régime commence à chavirer, asphyxie par une crise externe et interne à ses rangs. Dans ces moments, il ne s’agit pas d’un couloir toléré par la dictature mais d’un boulevard ouvert par les luttes populaires. En dehors de ces moments, les fausses élections, sous un régime despotique, peuvent être, pour les révolutionnaires, un moment de propagande, d’agitation et de revendications contre ce régime, pas en y participant mais en les boycottant.
Les démocrates doivent rejeter l’idée erronée et trompeuse selon laquelle des élections libres peuvent être organisées sous la dictature. Les voies du changement ne sont pas électorales, mais sont celles d’un soulèvement populaire, d’un raz-de- marée qui engage toutes les forces de la nation travailleuse sur la même voie et vers le même but : balayer la dictature et ses institutions. Et c’est la seule voie qui peut établir une vraie démocratie populaire. Car comment peut-on imaginer un vrai changement, capable de vaincre la police de Ben Ali, sans l’engagement politique de milliers et des centaines de milliers de gens bien déterminés à en finir avec le despotisme ?
Il est vrai que nous sommes actuellement loin d’un tel moment, que les masses sont loin d’une telle conscience révolutionnaire. Mais c’est la seule voie qui viendra à bout d’une dictature que nous n’avons que trop supporté, que trop expérimenté.
L’histoire récente de la Tunisie n’est pas orpheline de grands soulèvements politiques et sociaux. Au contraire, les grands événements qui ont secoué notre pays ces dernières décennies et qui ont connu un large engagement populaire contre la dictature sont de nature sociale subversive. Rappelant les évènements du soulèvement du 26 janvier 1978 et ceux du soulèvement du pain en 1984. Les luttes du bassin minier, même cantonnées à une seule région, sont de la même nature et nous inspirent les mêmes leçons.
Ces expériences nous tracent le chemin de la liberté et nous montrent la voie de la délivrance, même si nous sommes conscients de l’immense tâche qui nous attend, celle de réveiller la classe sociale la plus combative, la classe ouvrière, de souffler l’âme révolutionnaire dans son corps colossal et d’organiser ses rangs. Sans l’accomplissement de cette tache, les souffrances des tunisiens dureront encore longtemps.
En fin, certains, irrités par nos propos, peuvent dire que les critiques formulées contre la participation aux « élections » de 2009, ne sont qu’une vaine surenchère. Ils auront certainement raison si notre tache se limite à des tels critiques. Car il ne faut pas perdre de vue que, malgré nos divergences, nombreuses sont les luttes à mener ensembles contre la dictature.
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